Yo
meditaba absorto, devanando
los hilos del hastío y la tristeza,
cuando llegó a mi oído, por la ventana
de mi estancia, abierta
a
una caliente noche de verano,
el plañir de una copia soñolienta,
quebrada por los trémolos sombríos
de las músicas magas de mi tierra. ...
Y
era el Amor, como una roja llama...
?Nerviosa mano en la vibrante cuerda
ponía un largo suspirar de oro
que se trocaba en surtidor de estrellas?.
...
Y era la Muerte, al hombro la cuchilla,
el paso largo, torva y esquelética.
?Tal cuando yo era niño la soñaba?.
Y
en la guitarra, resonante y trémula,
la brusca mano, al golpear, fingía
el reposar de un ataúd en tierra.
Y era un plañido solitario el soplo
que el polvo barre y la ceniza avienta.
|
Je
méditais profondément en déroulant
les fils de l'amertume et de la tristesse,
quand à mon oreille parvint, par la fenêtre
de ma chambre, ouverte
sur
une chaude nuit d'été,
la plainte d'une copia songeuse,
brisée par les sombres trémolos
des rythmes magiques de ma terre. …
Et
c'était l'Amour, comme une flamme rouge…
?Sur la corde vibrante une main nerveuse
plaquait un très long soupir d'or,
qui se transformait en une pluie d'étoiles ?.
Et
c'était la Mort, sa lame sur l'épaule,
marchant à grands pas, farouche et squelettique
?comme je la rêvais lorsque j'étais enfant ?.
Et
sur la guitare, résonnante et tremblante,
la main en frappant brusquement évoquait
le bruit d'un cercueil qui vient frapper la terre.
Et
le souffle qui balaie la poussière et jette au vent
la cendre était un gémissement solitaire.
|
|
Juan de Mairena Trad. de l'espagnol par
Marguerite Léon.
Préface de Jean Cassou
Collection Les Essais (n° 75), Gallimard Parution : 30-08-1955
"Il n'y a de littérature possible - dit
Jean Cassou dans la préface qu'il a écrite pour ce livre - qu'une littérature
de paradoxe." Telle est l'opinion profonde de l'Espagne. C'est que les
paradoxes, les épigrammes, les caprices - caprichos - expriment la sagesse
profonde, le scepticisme léger du peuple.
"Le folklore est vie, création, épigramme et paradoxe. Il est poésie.
Et nul peuple n'a plus beau folklore que l'espagnol, peuple éminemment
sentencieux.
" Le grand poète Machado, mort en exil pendant la guerre civile, imagine
un philosophe, Juan de Mairena, disciple d'un autre philosophe, Abel Martin.
Il lui attribue ses pensées, ses réflexions. ses paradoxes, sur les sujets
les plus divers. C'est une pensée sceptique, légère comme celle des sophistes
grecs, que nous voyons naître devant nous.
Cependant, rien de moins gratuit, sous une apparente frivolité, que la
pensée de Juan de Mairena. "Sophiste et sceptique, Juan de Mairena n'est
nullement un charlatan, mais - dit Jean Cassou - le plus authentique Espagnol,
cet homme doux et bon que nous avons connu, don Antonio Machado. Espagnol
du peuple, poète unique, poète du cœur, poète de l'âme, saint et martyr."
|